sophie-87 a publié une critique de Des feuilles dans la bourrasque par Gabriel García Márquez
Avant Macondo – Ce que Des feuilles dans la bourrasque m’a soufflé à l’oreille
4 étoiles
Il y a des livres qu’on lit comme on entre dans une maison abandonnée : avec prudence, curiosité, un peu d’appréhension. Des feuilles dans la bourrasque, premier roman de Gabriel García Márquez, m’a donné ce sentiment. C’est un texte étrange, rugueux, parfois confus — mais habité. Dès les premières pages, j’ai compris que j’étais déjà à Macondo, ce lieu fictif qui deviendra le cœur battant de tout l’univers de Márquez. Mais ici, c’est encore une terre en friche, pleine de douleurs, de silences, de vent.
L’histoire tourne autour d’un mort que personne ne veut enterrer : un médecin haï par le village. Trois voix se succèdent — un colonel, sa fille, son petit-fils — pour tenter de faire face à cette situation absurde et violente. Ce qui m’a frappé, c’est la densité des non-dits. Tout semble peser : le passé, les rancunes, les humiliations, les choix politiques ou personnels. Rien n’est simple. Rien n’est pardonné.
J’ai été ému par la solitude des personnages. Chacun enfermé dans ses souvenirs, ses justifications. Le médecin, absent, devient une figure centrale, un fantôme sur lequel tout le monde projette sa haine ou sa dette.
L’écriture est déjà là, vibrante, pleine d’images sensuelles, mais moins fluide que dans ses œuvres plus tardives. On sent l’écrivain en construction, qui cherche, qui tente. Et c’est beau, justement, cette hésitation.
En refermant ce livre, j’ai eu le sentiment d’avoir marché à contrevent avec ces personnages, dans un village où le vent n’emporte pas les feuilles mortes — il les plaque au sol, il les accuse. Et moi, lecteur, je suis resté avec cette question sans réponse : qu’est-ce qui, dans une communauté, rend un homme impossible à pleurer ?
