LienRag a publié une critique de Chroniques du Léopard par Appollo
Mitigé
Je viens de lire "Chroniques du Léopard", d'Appollo et Tehem, et je suis mitigé. J'aime bien le dessin de Tehem, c'est assez complet comme présentation de la Réunion - mais justement, ça fait presque "guide touristique", l'imbrication de la petite histoire et de la grande peut être un très bon thème mais ici j'ai l'impression que ça ne décolle jamais vraiment (même si l'affrontement final avec Haï-Lang peut être une explication intéressante de pourquoi).
Après, la BD fait référence au Grand Meaulnes à un moment, et c'est vrai que ça peut être une des clés de l’œuvre, des gens qui rêvassent leur vie au lieu de la vivre - mais comme je n'ai pas aimé le Grand Meaulnes non plus, ça n'aide pas tant que ça.
Une partie de l'expérience humaine de l'adolescence est de passer à côté de sa vie, c'est exact, mais il me semble que pour que …
Je viens de lire "Chroniques du Léopard", d'Appollo et Tehem, et je suis mitigé. J'aime bien le dessin de Tehem, c'est assez complet comme présentation de la Réunion - mais justement, ça fait presque "guide touristique", l'imbrication de la petite histoire et de la grande peut être un très bon thème mais ici j'ai l'impression que ça ne décolle jamais vraiment (même si l'affrontement final avec Haï-Lang peut être une explication intéressante de pourquoi).
Après, la BD fait référence au Grand Meaulnes à un moment, et c'est vrai que ça peut être une des clés de l’œuvre, des gens qui rêvassent leur vie au lieu de la vivre - mais comme je n'ai pas aimé le Grand Meaulnes non plus, ça n'aide pas tant que ça.
Une partie de l'expérience humaine de l'adolescence est de passer à côté de sa vie, c'est exact, mais il me semble que pour que le représenter en fiction soit intéressant, il faut aussi montrer ce que cela aurait pu être, pas seulement ce qui a prévalu.
Et à la réflexion je crois que l'histoire d'Albert est un bon exemple de ce qui ne marche pas dans l'album, et de pourquoi ça ne marche pas : on a une bonne description de la façon dont la moquerie tourne à la violence, mais toute l'histoire est finalement quasiment sans enjeu. Le lecteur moderne pétri de bonne conscience aurait voulu que les héros interviennent, mais c'est contraire à l'histoire (à la fois parce que l'Albert est apparemment un personnage historique, et qu'il a réellement vécu ces outrages, sans que personne ne l'aide, et à la fois parce que cela aurait totalement été incohérent avec l'ambiance de l'époque et de l'école, voire avec l'arc des protagonistes). Mais on n'a aucun accès à l’intériorité des personnages, et ça c'est un choix du scénariste (et donc une erreur de construction du récit). On voit bien sur le visage d'Albert sa tristesse, son courage stoïque, on devine la montée du désespoir quand ce courage ne suffit pas, qu'il apparaît qu'il n'y aura aucune solution; mais rien de plus, on ne voit rien de sa vie hors de l'école non plus. Et de la part des héros protagonistes, on n'a rien du tout.
Le lecteur réfléchi peut comprendre, en comparant avec l'accueil initial de Lucien, que c'est le fait qu'Albert refuse de se défendre qui interdit son intégration. Et en voyant la présentation de la structure sociale et raciale de l'époque que l'album fait tout du long, comprendre aussi qu'il était en fait totalement impossible à Albert de se défendre, que cela aurait engendré une violence terrible à son égard et accentué au contraire son rejet. Et donc comprendre intellectuellement comment Albert s'est retrouvé placé dans une situation de double contrainte qui ne pouvait finir bien. Mais comme ce n'est jamais vraiment mis en scène, cette compréhension reste purement intellectuelle, elle ne touche pas réellement le lecteur sur le plan des émotions.
Dans le fameux triangle des questions définissant un personnage de fiction ("qu'est-ce qu'il veut, pourquoi ne peut-il pas l'obtenir et pourquoi ça nous intéresse"), Albert est privé de la dernière question (la sympathie naturelle que l'on peut avoir spontanément pour lui est vite vidée par l'absence de toute réaction, de toute agentivité), et les protagonistes sont privés des deux premières.