Leito a publié une critique de Manuel de l'antitourisme par Rodolphe Christin
Manuel de l'antitourisme
4 étoiles
Malgré son titre, cet essai pose des bases théoriques et bien documentées pour la critique du tourisme plus qu'il ne propose de vraies méthodes d'antitourisme. Il n'en est pas moins très intéressant et soulève la plupart des problèmes du tourisme en les replaçant dans leur contexte global. Une industrie majeure aux conséquences et retombées multiples et globales, dont les clients ne représentent pourtant que 3,5% de la population mondiale (même avec une définition large du "touriste"). L'auteur passe en revue les conséquences délétères du tourisme : économiques (dépendance…), écologiques (transports, artificialisation…), culturelles (folklorisation, muséification…)… Tourisme "éthique" ou pas. Il explique aussi très rapidement l'évolution de la notion de voyage, des "explorateurs" aristocrates du XIXe aux premiers congés payés, l'envie d'ailleurs et de découverte qui entrent désormais en contradiction avec une certaine idée d'efficacité, de refus de l'imprévu (notre temps est limité, notre argent est compté, on met en place la …
Malgré son titre, cet essai pose des bases théoriques et bien documentées pour la critique du tourisme plus qu'il ne propose de vraies méthodes d'antitourisme. Il n'en est pas moins très intéressant et soulève la plupart des problèmes du tourisme en les replaçant dans leur contexte global. Une industrie majeure aux conséquences et retombées multiples et globales, dont les clients ne représentent pourtant que 3,5% de la population mondiale (même avec une définition large du "touriste"). L'auteur passe en revue les conséquences délétères du tourisme : économiques (dépendance…), écologiques (transports, artificialisation…), culturelles (folklorisation, muséification…)… Tourisme "éthique" ou pas. Il explique aussi très rapidement l'évolution de la notion de voyage, des "explorateurs" aristocrates du XIXe aux premiers congés payés, l'envie d'ailleurs et de découverte qui entrent désormais en contradiction avec une certaine idée d'efficacité, de refus de l'imprévu (notre temps est limité, notre argent est compté, on met en place la même idée de rendement qu'à ce travail dont on essaie de s'éloigner pour mieux revenir) et en conséquence de l'uniformisation des expériences aux quatre coins du globe. C'est un livre intéressant car il documente, quantifie et formule des phénomènes qu'on peut avoir déjà observé ou vécu (notamment cette idée que le "touriste" c'est toujours l'autre, notre incapacité à nous voir comme partie du problème). Après son exposé global, Rodolphe Christin propose quelques pistes qui atténueraient les effets délétères du tourisme tout en posant que ça reviendrait globalement à déplacer le problème (d'ailleurs cette partie s'appelle les "Illusions du tourisme durable") et que la vraie solution, la plus efficace, serait de mettre fin au tourisme. Mais comme c'est une solution inapplicable, inégalitaire dans ses conséquences, et qu'il croit réellement en ce que peut apporter le voyage à chacun, il développe rapidement l'idée selon laquelle il faudrait, pour revoir notre rapport au tourisme/voyage, revoir les modes d'accès à ces lieux touristiques. Faire du trajet un point majeur du voyage, arrêter de tout faire pour faciliter l'accès, ne plus encourager les visites mais accueillir celles qui auraient "fait l'effort" et seraient automatiquement plus "motivées", puisqu'il faudrait une réelle volonté d'atteindre l'objectif. On redonnerait une place prédominante au guide ou à l'habitant pour déchiffrer et circuler au sein d'un espace moins balisé. Forcer la curiosité, amener à trouver l'altérité quand tout n'est pas pré-mâché. Si ses conclusions sont intéressantes, elles mériteraient d'être davantage développées et accompagnées de plus d'exemples concrets, même si la brièveté de cet essai est aussi une de ses qualités.
Et une petite réserve que je me dois de poser ici, même si je sais que l'auteur ne voit pas les choses comme ça, mais face aux gens qui m'expliquent que le vrai voyage, hors du tourisme marchand, c'est aller à la rencontre des autres, j'ai souvent l'impression que ça se résume beaucoup à profiter de l'hospitalité des gens pour dormir à l'œil (en ayant un peu discuté et raconté chacun sa vie avant bien sûr). Même si ce n'est bien sûr pas aussi cynique, il faut aussi arrêter de se voir comme un aventurier.e en terre inexplorée et se rappeler constamment que chaque action, chaque idée qui nous traverse est potentiellement répétée tous les jours par plein d'autres petit.e.s malin.e.s que nous. Et c'est beaucoup le nombre et la répétition qui créent une pression sur les espaces et les populations traversés (ce n'est pas parce que vous êtes seul.e.s dans votre bivouac magnifique ce soir qu'il n'y a pas chaque année des centaines de personnes qui piétinent ce même endroit). L'action individuelle a un poids, car elle est en réalité la répétition de ce qui, à l'échelle globale, est une force de pression collective.