Leito a publié une critique de Au Bonheur des Dames par Émile Zola
Au Bonheur des Dames
5 étoiles
Un grand roman d'entrée dans le monde moderne par un personnage qui monte à la capitale (un peu comme les Illusions Perdues). Ici c'est Denise qui découvre les grands magasins parisiens, avatar du capitalisme (qui n'est pas encore nommé comme tel) où l'objectif premier est la croissance (permanente et exponentielle), et le monopole (qu'on laisse crever tous ceux qui ne peuvent suivre). La méthode est le mouvement constant (et étourdissant) des flux de marchandises et de capitaux (le flux tendu), et l'inondation du marché (créer la demande). Ça parle de publicité et de marketing (les géniales recettes de Mouret sont encore utilisées de nos jours). Ça parle du monde du travail au XIXe (quasiment les seules revendications qu'arrivent à faire entendre les employés sont sur la qualité de la cuisine à la cantine alors qu'ils dorment dans des logements sous-chauffés, avec un couvre-feu, certains à même le sol dans la …
Un grand roman d'entrée dans le monde moderne par un personnage qui monte à la capitale (un peu comme les Illusions Perdues). Ici c'est Denise qui découvre les grands magasins parisiens, avatar du capitalisme (qui n'est pas encore nommé comme tel) où l'objectif premier est la croissance (permanente et exponentielle), et le monopole (qu'on laisse crever tous ceux qui ne peuvent suivre). La méthode est le mouvement constant (et étourdissant) des flux de marchandises et de capitaux (le flux tendu), et l'inondation du marché (créer la demande). Ça parle de publicité et de marketing (les géniales recettes de Mouret sont encore utilisées de nos jours). Ça parle du monde du travail au XIXe (quasiment les seules revendications qu'arrivent à faire entendre les employés sont sur la qualité de la cuisine à la cantine alors qu'ils dorment dans des logements sous-chauffés, avec un couvre-feu, certains à même le sol dans la boutique, qu'ils sont en permanence sur un siège éjectable — pas question de tomber enceinte — et que tout les encourage à se monter les uns contre les autres pour espérer gagner plus). Ça parle encore de plein d'autres choses mais ça parle surtout d'un monde qui s'effondre (les magasins familiaux, spécialisés et indépendants) sous le poids du nouveau qui fait littéralement disparaître jusqu'au souvenir de sa concurrence en l'engloutissant dans son magasin en permanente expansion. Les chapitres où le magasin fait ses grandes ouvertures sont des tourbillons dont on ressort aussi essoufflé que les clientes qui ont perdu toute notion du temps et de leurs besoin réels. Une merveille. C'est un roman génial, et en fin de compte je ne sais pas toujours si Zola est fasciné ou critique de l'univers qu'il dépeint, certainement un peu des deux.