Mes poèmes labiaux sont nostalgiques. Ils évoquent un avant d'avant. Des endroits que je n'ai pas vus, des objets dont l'écorce seule, à défaut de l'usage véritable, a survécu. Dénués d'utilité, ils me sont devenus beaux. Autant que des animaux. Beaux par leur simple écorce, sublimée par des récits confus - sibyllins parce qu'à demi oubliés - de leur existence utilitaire. Afin de mieux écrire, il m'arrivait fréquemment de les dépiauter, de les réagencer mensongèrement l'un avec l'autre. Je façonnais ainsi des chimères. Téléradiospirateurs, Ordifers, Téléphixers, Magnétochines à pain. J'imaginais mon texte en les édifiant, j'écrivais en les contemplant, les détruisais ensuite pour mieux entreposer leurs pièces, rangées par ressemblance de couleur, texture ou évocation poétique, dans une grande salle d'archives. C'était un musée déjà.

— Derrière le grillage (tome 1) de Guillaume Chamanadjian, luvan, Sébastien Juillard (Derrière le grillage, #1) (Page 129)