Ameimse a cité Searoad par Ursula K. Le Guin
Après avoir lu sa lettre, j’ai éprouvé le besoin d’aller marcher un peu, de descendre à la plage, de sentir le ciel au-dessus de moi. Les vagues, toutes de perle et de nacre, déferlaient en émergeant d’une brume nimbée de soleil. J’ai fait ma promenade habituelle jusqu’à la Pointe Épave. Au retour, j’ai croisé des estivants sur la plage ; il y en a tout le temps, maintenant. La famille qui est descendue chez Viney et des gens qui séjournent à l’hôtel. Un garçon fluet m’a immédiatement fait penser à Lafa. Douze, treize ans, un enfant encore. Il est entré dans l’eau à toute allure, par l’estuaire, les lagunes, les grandes nappes laissées par la marée basse. Un joli petit garçon qui courait en levant haut les genoux, la casquette enfoncée jusqu’aux yeux, le nez en l’air, et qui faisait le clown pour sa famille à grand renfort d’éclaboussures et de virevoltes, léger comme la lumière. Et je me suis dit : Oh, qu’est-ce qui, plus tard, les change à ce point ? J’en ai eu le cœur tordu, essoré comme un torchon à vaisselle – qu’est-ce qui leur arrive donc, à ces jeunes garçons gracieux ? Un autre garçonnet, plus petit, celui-là. Toute une famille avançait à la queue leu leu en se traînant, épuisée, toute la journée à la plage, mais ce sont leurs vacances, il faut en profiter au maximum. Alors ils avançaient péniblement en direction des dunes, et le plus petit, à la remorque, s’était arrêté, en larmes. Il avait laissé tomber les plumes de goéland qu’il avait trouvées. Il restait planté là, les pieds entourés de plumes pleines de sable, à pleurer : Oh, j’ai laissé tomber toutes mes plumes ! Larmes et morve mêlées coulent sur son visage, Oh, attendez, attendez ! Il faut que je les ramasse ! Mais ils ne se sont pas arrêtés. Ils ne se sont même pas retournés. Il avait six ans, peut-être sept, trop grand pour pleurer sur une poignée de plumes. Il est temps d’être un homme, maintenant. Il a dû rattraper les autres au pas de course, pleurant toujours, et ses plumes sont restées là, sur le sable.
— Searoad de Ursula K. Le Guin (75%)
