Ameimse a publié une critique de Foodistan par Ketty Steward
Foodistan : après l'apérolypse
4 étoiles
La lecture de Foodistan est entrée en résonance avec ma lecture il y a quelques temps d'un essai philosophique de Corine Pelluchon, "Les nourritures. Philosophie du corps politique" que j'avais trouvé stimulant à plus d'un titre. L'essai s'ouvrait par cette citation classique de Levinas, "Au commencement il y avait la faim", invitant à envisager le corps comme le point de départ de notre expérience. Les développements de la philosophe m'avaient particulièrement intéressée dans la manière elle s'employait à replacer la centralité de la notion de "nourriture", rompant avec les philosophies libérales et différents dualismes en découlant, pour repartir de l'expérience de la faim afin de repenser, notamment, la notion de justice.
Dans Foodistan, Ketty Steward se réapproprie l'idée de la centralité de la nourriture pour déployer une exploration gustativo-littéraire au sein d'un pays, qui fut autrefois la France, et est devenu après "l'apérolypse", le Foodistan, entièrement refondé autour de la question de l'alimentation. Dans ce futur ainsi mis en scène, on suit une serrurière assermentée dont le statut lui permet explorations et rencontres en navigant dans la cartographie socialo-culinaire de cette nouvelle société où le régime alimentaire et l'expression même du rapport à la nourriture renvoient directement à un certain positionnement social.
Dans cette courte novella-recueil où se mêlent vignettes d'un récit fil rouge, recettes de cuisine et poèmes, jeux d'intertextualité et de polytextualité, Ketty Stewart propose une véritable expérimentation poético-politique. Tout en se livrant à une refondation langagière aussi gourmande que réjouissante pour les lecteurices (à l'image de "l'apérolypse", la crise est devenue la "cerise", la société, la "satiété", etc.), l'autrice met en lumière, avec un discours critique sur le présent du Foodistan comme sur le passé (notre présent donc), ce que le prisme de l'alimentation révèle d'une société, sur les rapports de force qui s'y déploient et qu'elle contribue à façonner, aussi bien entre ses membres que dans leurs liens avec le vivant au sens large.
En résumé, une lecture savoureuse, investissant la question de la nourriture dans un registre à part de fiction poético-politique qui ne m'a pas laissée indifférente.