Ameimse a publié une critique de Mauvaise graine par Octavia E. Butler (Patternist, #1)
Mauvaise graine
5 étoiles
Publié en 1980, 'Mauvaise graine' n'est pas le premier roman écrit par Octavia Butler dans sa série Patternist à laquelle elle se consacre de 1976 à 1984, à travers cinq romans - dont un qu'elle désavouera plus tard, le qualifiant de "roman Star Trek". Il est plus précisément le quatrième roman de la série ; mais l'histoire qui y est relatée le situe, chronologiquement, en premier, d'où le choix des éditions Diable Vauvert de commencer par lui. J'y ai retrouvé quelques-unes des caractéristiques et qualités marquantes de la prose d'Octavia Butler (ici traduite par Jessica Shapiro) que j'avais tant appréciées dans la trilogie Xenogenesis.
"Mauvaise graine" est tout d'abord un récit particulièrement immersif : l'autrice nous installe instantanément aux côtés de personnages dont elle prend soin, au sens où elle leur accorde toujours une épaisseur, une existence, ne les réduisant jamais à l'état de simples artifices/ressorts narratifs. Le récit vient dépeindre leurs nuances, évoquer leurs différentes facettes, et en filigrane leurs ambivalences, voire contradictions. Ce sont des figures incarnées, jamais figées mais plutôt en construction permanente, face aux épreuves, aux dilemmes et aux choix impossibles qui se posent à elles. Il y a une sensibilité et une empathie qui émanent du récit qui renforcent d'autant l'investissement des lecteurices.
L'histoire se déroule sur plusieurs siècles, depuis l'Afrique jusqu'aux États-Unis. On y suit Anyanwu, figure centrale féminine africaine, aux capacités extraordinaires et uniques de métamorphe, placée face à des choix impossibles. Elle doit en effet composer avec Doro, lequel a mûri d'autres facultés et un projet particulier depuis des millénaires. Traversée de dynamiques de pouvoir, c'est une histoire de fascination et d'affrontements, d'oppositions et de redditions, de sacrifices et de survie, individuelle et collective. L'oeuvre explore de façon critique, en faisant un pas de côté grâce au cadre fantastique qui est le sien, diverses thématiques centrales de la modernité occidentale, au premier rang desquels le colonialisme, l'esclavage, le racisme, mais aussi l'eugénisme qui fonde ce qu'a entrepris Doro. Tout aussi sombre que puisse paraître le récit par moment, il n'en émane pas moins une force et une puissance vectrices d'espoir : Anyanwu ne perd jamais sa capacité d'agir en dépit de tout. Elle agit, elle lutte, avec ses moyens, en faisant des choix.
Tour à tour déroutante, inconfortable, dérangeante voire révoltante, 'Mauvaise graine' invite en permanence les lecteurices à questionner leurs attentes et leurs réflexes face aux propos et aux situations mises en scène. Il est difficile de cesser d'en tourner les pages une fois la lecture commencée. Une belle expérience littéraire.