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a publié une critique de La Migration annuelle des nuages par Premee Mohamed (La Migration annuelle des nuages, #1)

Premee Mohamed: La Migration annuelle des nuages (Paperback, français language, 2025, L'Atalante)

« On a toujours le temps de tout recommencer, de partir dans une autre direction, …

La Migration annuelle des nuages

Une novella qui est l'occasion de découvrir la plume de Premee Mohamed (traduite par Marie Surgers, qui traduit également pour L'Atalante les romans de Becky Chambers par exemple). Si l'autrice investit ici un genre devenu classique en science-fiction, celui du post-effondrement de nos sociétés contemporaines, elle propose une déclinaison aussi habile que personnelle de ce registre post-apocalyptique. L'histoire se situe en Amérique du Nord, au sein d'une communauté qui tente de survivre, dans les restes (bâtiments, objets, déchets...) de la société passée, et de faire face aux conséquences, notamment climatiques, des bouleversements qu'a connus la planète, avec un environnement devenu hostile. On y suit Reid, en fin d'adolescence/jeune adulte, dont le quotidien est soudain bouleversé par la nouvelle de son admission dans une université, située dans un lieu où des privilégié·es auraient préservé des conditions de vie et des savoirs désormais perdus pour les personnes de sa communauté.

Un tel point de départ aurait pu ouvrir sur bien des poncifs, mais Premee Mohamed l'explore sous des angles et des questionnements qui m'ont beaucoup parlé en tant que lectrice.

Tout d'abord, la novella couvre non pas l'arrivée dans l'université lointaine peut-être mythique, mais les quelques jours qui suivent la réception de la nouvelle. Elle s'intéresse aux questionnements et aux doutes que cela produit sur Reid, à la manière dont ses proches réagissent, mais aussi plus largement aux dynamiques au sein de la communauté et à la façon dont celleux qui gravitent autour de Reid envisage ce possible "départ" vers un "ailleurs" que personne n'a jamais vu. L'autrice esquisse, à travers les réactions des un·es et des autres, comment cette communauté essaie tant bien que mal de survivre, tout en étant en train de mourir à bas bruit. En outre, les choses sont d'autant plus complexes que de nombreuses personnes portent en elles un parasite fongique qui fait peser sur elles une épée de Damoclès permanente, et dont il n'est pas possible d'anticiper l'évolution exacte, si ce n'est qu'une mort dans des souffrances atroces attend un certain nombre. La particularité du parasite est aussi que, étant plus que tout intéressé par sa survie, il lui arrive d'exercer un certain contrôle sur son hôte. Si Reid a éprouvé des situations de contrôle physique, elle s'interroge en permanence sur l'intégrité même de ses pensées : si le parasite peut influer sur ses gestes, peut-il aussi influer sur ce qu'elle ressent, sur ce qu'elle pense ? "Quelle liberté a-t-elle vraiment, d'une part en évoluant au sein de cette communauté tentant de survivre, d'autre part avec un tel parasite en elle ?" est une question qui traverse en filigrane tout le récit. Enfin, "La Migration annuelle des nuages" m'a plu par la tonalité et l'ambiance que l'autrice insuffle dans sa novella. Si tout ne semble plus que ruines, si les vies qui sont désormais vécues sont rudes et souvent écourtées, la narration du point de vue de Reid nous plonge dans un maelström d'émotions : il y a de la colère et de l'impuissance, face ce que leur a légué l'ancien monde et face à ce parasite omniprésent en elle, mais aussi une volonté d'aller de l'avant, de (sur)vivre, combinée à une ambition / aspiration à (re)construire - et être admise dans un lieu-relique du monde d'autrefois peut être un premier pas, songe-t-elle. Espoir et désespoir se côtoient ainsi en permanence, conférant au récit une dimension particulière qui touche profondément (a fortiori dans le contexte de lecture de 2025 où nous sommes encore dans ce "monde d'avant" dont Reid a bien conscience de l'existence passée et du caractère irrémédiablement révolu).

En résumé, un récit post-effondrement, poétique et sensible, où la colère contre les injustices passées et les conditions du présent cohabite avec une volonté tout aussi farouche de (sur)vivre.