Crapounifon@bookwyrm.social a publié une critique de Agrapha par luvan
Mise en abyme inversée
5 étoiles
On comprend l'autrice quand elle découvre ces textes d'une communauté de femmes du X ème siècle installée en forêt bretonne. Traductrice et historienne de formation, il y avait matière pour cette polymathe.
En entrées, un contexte historique et des témoignages notamment sur la condition des femmes et leur rapport à la nature. Ensuite des textes des différentes moniales, chacune avec ses variantes de latin, de celte, de franque et même de grec. Et surtout une poésie d'autant plus belle qu'elle n'en est pas, journaux des membres de cette communauté.
En sortie, l'autrice qui, d'une part, traduit ces textes en faisant des choix étonnants qu'elle explique. Des choix de non traduction, de genre, mais qui ne sont rapidement plus rebutants car ils renforcent la musicalité et la poésie.
Enfin il y a ce dont on ne peut parler (aphona) ni écrire (agrapha). Un mystère qui évoque une hérésie, du paganisme, sorcellerie ou « druidisme », mais aussi quelque chose qu'on ne peut communiquer, transmettre, d'ineffable.
Contre cette liberté de ton, ce mystère, les curés, d'alors et postérieurs, ne pouvaient que mettre sous le boisseau ces textes.
Cette communauté a commencé par... une ermite, la doyenne, la plus lettrée. Elle a accueilli ensuite plusieurs femmes, dont une noble et son esclave qui y seront sur un pied d'égalité.
Une sororité au départ dans la promiscuité d'une grotte, proximité entre elles et avec la nature. Certains passages sont imprégnés de sensualité et d'érotisme.
Cela pourrait évoquer les fadaises du « féminin sacré » mais outre que ce serait anachronique ce serait abaisser ces textes aux bas horizons actuels.
Ainsi s'établit une communauté improvisée sans l'autorité tutélaire d'un prêtre comme cela devrait, au moins au XIIème. Le pouvoir de l'Eglise et le féodalisme se raffermissent. Cela évoque plus sérieusement Hildegarde von Bingen, qui, elle aussi, fonda une communauté, dont l'autorité tutélaire masculine fût formelle. Et certains émettent l'hypothèse que ses remèdes végétaux (eux aussi récupérés par le new age) seraient, au moins inspirés sinon plus, par la communauté de ce livre. Ce qui nous amène à Trotula de Salerne, femme-médecin italienne. Et enfin Christine de Pizan et sa Cité des Dames, ici évoquée, utopie d'un siècle précédent celle de More. Et dont le sort des femmes est éminemment plus enviable dans la première.
Il y a plusieurs parties :
- la traduction des textes
- leur exégèse, un glossaire et les explications sur les choix de traductionsl
- l'auteur racontant son séjour près du lieu présumé de la communauté Adsagsonae Fons. C'est parfois dispensable mais cela renforce le contraste avec la dernière partie
- puis une dernière partie hallucinante dans laquelle la mise en abyme se transforme en voyage temporelle, expérience mystique et télépathique.
A priori peu féru de ce genre, c'était ici captivant, luvan réussissant à transcrire l'expérience.
Grotte, faille temporelle, on pourra penser à l'excellente série allemande Dark. Ici le fantastique est au service de l'écriture devenant une expérience en soi. Une très bonne surprise dont je remercie @Ameimse@bw.heraut.eu d'avoir parler ici.