Leito a publié une critique de L'oeil de Carafa par Luther Blisset
L'œil de Carafa
5 étoiles
Je ne lis quasiment pas d'ouvrages d'histoire, mais je suis en revanche hyper réceptif aux romans historiques, surtout quand on sent qu'un énorme travail de recherche se cache derrière, tout en développant une vraie trame (ça reste un roman), voire un discours critique en toile de fond. Quand c'est bien fait, toutes ces couches s'empilent et on lit sur plusieurs niveaux : sollicité par la narration, accroché par la curiosité sur une époque ou des personnages, en permanence en train de créer des ponts avec le présent ou d'autres périodes...
C'est donc le cas ici et ça a été pour moi un véritable plaisir de découvrir toute cette Allemagne du XVIe où, déjà, surgissaient des idées de redistribution du pouvoir et de la propriété, sous couvert de controverses théologiques. Martin Luther traduit la Bible en allemand pour rendre la parole de Dieu accessible au peuple et dénonce les indulgences (payer pour se laver de ses péchés), mais si ce dernier se rangera vite derrière les princes et échappera au courroux de l'église catholique romaine, un fil a été tiré et d'autres (Thomas Müntzer notamment) entendent bien aller au bout de cette voie et apporter une lecture plus universaliste de la parole du Christ, jusqu'à en conclure qu'il faut retirer leurs terres aux seigneurs et les rendre à ceux qui les cultivent.
C'est grâce à un personnage fictif et son nemesis que les auteurs connectent différents événements successifs pour mieux les mettre en relation, comprendre ce qui les lie mais aussi, et tristement, comment chacune de ces tentatives s'écroule, soit face àun ennemi trop puissant, soit en pourrissant de l'intérieur. C'est une démonstration supplémentaire qu'une idéologie forte et porteuse de sens pourra mobiliser un peuple (on parle des armées paysannes, partant se battre avec leurs outils contre des mercenaires au service des princes, de paysans ayant pris le contrôle d'une ville entière pour y créer leur propre royaume avec leurs propres lois), mais qu'elle finira toujours par être récupérée cyniquement pour des luttes de pouvoir qui ont d'autres plans en tête (le prince Frédéric qui souhaite surtout se défaire de l'emprise du Pape).
On peut parfois trouver un peu tiré par les cheveux le parcours de notre personnage, mais c'est un moindre mal pour nous emmener là où tout se passe, même si l'issue de toutes ces étincelles de révolution (et de proto-communisme ?) est rarement joyeuse. D'autant plus que le texte est fluide et le tout se lit relativement vite malgré le nombre de pages.
