LienRag a publié une critique de Yoko Tsuno, tome 12 par Roger Leloup (Yoko Tsuno, #12)
Le dernier des Tsuno
Ou plus exactement le dernier bon album de la série...
Ce qui me permet de faire une chronique non pas de cet album mais de la série en général.
Une discussion récente avec @iLangle@piaille.fr m'a permis de formaliser un aspect de ce qui fait l'intérêt des aventures de Yoko (les bonnes, évidemment) : elle n’apparaît pas comme une superwoman mais toutes ses qualités viennent d'un travail préalable qui impliquait une réelle humilité...
J'ai relu la Spirale du Temps récemment (ce qui m'a confirmé que ça reste lisible, même si le scénario est parfois léger).
Et oui, le fait que non seulement Yoko soit la fille du grand professeur Tsuno ET la filleule du seul kamikaze survivant mais également aie passé son enfance à Sumatra fait un peu beaucoup (et tombe à pic) mais le fait qu'elle sache donc cornaquer un éléphant, non seulement est présenté de façon totalement naturelle, mais n'est pas si irréaliste : j'ai jamais essayé mais la BD ne dit pas que c'est si compliqué, ne la montre pas réaliser des prouesses hors du commun, et surtout est assez claire sur le fait que sa facilité à le faire est due à son empathie, ce qui est à la fois cohérent avec son personnage et un discours sur le monde que je trouve intéressant.
Pareil, ensuite elle s'intéresse et empathise avec les traditions funéraires locales, mais à aucun moment n'est présentée comme ayant une expertise en archéologie ou anthropologie.
De même elle sait ce qu'est un accélérateur de particules, ce qui est cohérent pour une ingénieur électronicienne, mais on ne la voit pas le réparer ou proposer une amélioration comme le ferait le scientifique générique des films américains...
À un moment elle sait ouvrir une bouche d'approvisionnement et y insérer une cartouche, soit une capacité ordinaire d'opération d'une machine générique.
Jamais rien de plus extraordinaire comme compétences dans cet album, de mémoire.
Pareil dans la Fille du Vent, elle sait piloter (ce qui était assez courant pour des ingénieurs à l'époque) mais ne réalise aucune prouesse, elle montre juste une compétence correcte mais basique.
Et sa maîtrise du ninjiutsu ajoute en effet à la longue liste de ses compétences, mais reste cohérent avec sa présentation dès le départ comme une pratiquante avancée de multiples arts martiaux. Et elle ne fait rien d'extraordinaire en tant que ninja, juste une pratique compétente de base.
J'ai un vague souvenir de son utilisation du Kyûdo dans la Forge de Vulcain, mais de mémoire pareil, elle réussit quelque chose de difficile, demandant compétence et concentration, mais absolument pas une prouesse surhumaine.
Et c'est vraiment le thème général de toute son utilisation des arts martiaux depuis "Hold-up en hifi" : pratique de haut niveau, mais pas surhumaine.
J'ai pas lu les très mauvais albums récents (et n'ai pas de souvenirs de ce qui suit la Proie et l'Ombre vu que je ne les ai lu qu'une fois en vitesse vu qu'ils sont sans intérêt) mais pour les précédents, son "hypercompétence" (comme disait mon interlocutrice dans la discussion en question) reste dans le même registre : apprenant vite, travaillant bien, bref ce qu'on demande à un bon ingénieur, mais rien de surhumain.
Et des compétences qui restent dans le registre présenté dès le départ : arts martiaux et ingénierie en lien plus ou moins lâche avec l'électronique.
Donc un message pour les jeunes filles (et enfants en général) que je trouve très correct : si tu travailles bien à l'école et construit une société socialiste favorisant l'entraide et la coopération, toi aussi tu pourras comme Yoko gérer toutes les situations que tu rencontres et être une force positive dans le monde.
(oui, j'extrapole un peu pour la partie "socialisme" : mais la constante - quoique discrète - emphase mise sur l'empathie de Yoko et son souci d'autrui, qui elle est clairement dans tous les albums, me paraît mener naturellement vers cette traduction politique-là)
Bref, c'est une femme qui est effectivement super, mais ce n'est pas une super-femme.
Également c'est une série très datée, très liée aux conditions dans lesquelles elle a été créée, que ce soit par son érotisme très discret, lié à l'asexualité de la BD dans Spirou à l'époque, à la technophilie et à la découverte d'un japon encore largement inconnu mais en pleine montée en puissance, et surtout par sa structure narrative: il faut bien comprendre que c'était publié au rythme d'une à deux pages par semaine, soit bien six mois pour un album, et qu'on passait donc beaucoup plus de temps dans le mystère qu'avec sa solution. L'important était donc moins l'énigme dans son ensemble ou la pertinence de sa conclusion que l'ambiance créée tout le long de l'histoire, et sur ce plan Yoko Tsuno est vraiment excellent, les histoires lues dans mon enfance continuent à me marquer, ce pour tous les albums (les vrais je veux dire, jusqu'à la Proie et l'Ombre donc, et surtout jusqu'à la Fille du Vent). Malheureusement ça se retrouve assez mal lorsqu'on lit l'album d'un bloc, même en se forçant à s'arrêter un peu au bout de chaque page.
Et je rajoute la remarque d'un BDParadisien il y a longtemps : Yoko Tsuno (les bons, évidemment, donc toujours jusqu'à la Proie et l'Ombre) combinent SF pour le fond et horreur gothique pour la forme/l'ambiance, c'est là sa grande originalité et la clé de son succès.
J'ai d'ailleurs très peu lu de YT après les Archanges (je pense que j'ai dû m'arrêter au Matin du Monde, parcouru à toute vitesse tellement c'était mauvais, j'ai arrêté de me faire du mal après ça) et donc je ne peux être certain, mais j'ai l'impression que justement le déclin brutal de la série vient quand cette dimension d'horreur gothique disparaît.
Mais il faut comprendre une chose, c'est que cette horreur gothique étant dans l'ambiance, elle dure une scène¹ en général, donc en lisant l'album d'une traite on perd quasiment tout de cet aspect. J'ai feuilleté relativement récemment "la frontière de la vie" à la bibliothèque, la troisième page (je crois) se termine par le dialogue (que je trouve très bien mis en scène) "croyez-vous aux vampires ?" et dans le contexte de l'architecture de Rothemburg dans laquelle on baigne c'est tout à fait crédible. De même dans le Trio de l'Étrange, la scène avec le Central a beau être de la SF classique, elle est d'une force horrifique impressionnante, même en la relisant en tant qu'adulte, on se sent aussi impuissant et terrifié que Yoko (et donc on ressent profondément ce que son courage face à l'adversité représente, elle apparaît extrêmement humaine dans ce passage), mais ça ne peut avoir le même impact quand on reste plusieurs semaines dans cet état que quand on tourne trois pages et que c'est fini.
Également c'est une femme de caractère certes, et le fait qu'elle aie toutes les qualités est peut-être un peu daté, mais elle n'en abuse pas amha, c'est juste ce qui était nécessaire à l'époque pour qu'une femme puisse rester autonome on dira. Le fait que malgré toutes ses qualités professionnelles et humaines elle aie réellement une personnalité, ne soit pas totalement lisse comme Tintin par exemple, me paraît une grande réussite de Leloup justement.
Et ça marche, il y a longtemps je parlais avec une amie ouest-africaine et je ne sais plus comment Yoko est venue sur le tapis, et elle a spontanément sorti "Yoko Tsuno, mon idole !" (sous-entendu, à l'adolescence/pré-adolescence).
¹ Je veux dire, on a une scène qui est portée par une ambiance d'horreur gothique, comme par exemple celle avec la chauve-souris dans l'Orgue du Diable; puis l'intrigue reprend/continue et on comprend qu'il y a une explication rationnelle, et plus tard on a une autre scène d'ambiance gothique, etc. Le tout très très bien agencé, cela n'apparaît jamais artificiel.