Nicolas Fressengeas a cité Romans par H. G. Wells (Litera, #9)
Tous ceux-là… le genre de gens qui vivaient dans ces maisons, et tous ces fichus petits commis qui vivaient dans ces banlieues… ils ne serviraient à rien. Ils n'ont pas de caractère en eux, pas de rêves pour exprimer leur fierté, leur désir de vivre. Et un homme qui n'a ni l'un ni l'autre, Seigneur ! Qu'est-ce qu'il est d'autre que trouille et précautions ? Tout ce qu'ils faisaient, c'était foncer à leur boulot : j'en ai vu des centaines, leur reste de petit déjeuner hâtif à la main, à se précipiter tout bien mis pour attraper leur petit train avec leur ticket d'abonnés par peur d'être renvoyés s'ils étaient en retard ; à exécuter une besogne qu'ils avaient peur de se donner la peine de comprendre ; à se précipiter pour rentrer chez eux parce qu'ils avaient peur de ne pas être à l'heure pour le repas du soir ; à rester chez eux après le diner parce qu'ils avaient peur des rues malfamées, et à dormir avec la femme qu'ils avaient épousée, non pas parce qu'ils avaient envie d'elle, mais parce qu'elle avait un peu d'argent qui leur procurait une petite sécurité dans leur voyage étriqué et craintif à travers le monde. Des vies sous contrat d'assurance, un peu d'argent investi par peur des accidents, Et le dimanche : la peur de l'au-delà. Comme si l'enfer avait été bâti pour les lapins ! Eh bien, les Martiens, pour eux, ça sera une bénédiction. De jolies cages spacieuses, de la nourriture enrichissante, une procréation planifiée, aucun souci. Après une semaine environ à se carapater le ventre vide à travers la campagne et les champs, ils s'en reviendront et seront contents d'être capturés. En un rien de temps ils seront très heureux. Ils se demanderont comment les gens faisaient quand il n'y avait pas de Martiens pour veiller sur eux. Et les piliers de bar, les dandys et les chanteurs, je les vois d'ici. Je les vois d'ici, répéta-t-il avec un sombre contentement. Il y aura tous les sentiments et toute la religion voulus, chez eux. Il y a des centaines de choses que j'ai vues, de mes yeux vues, et que je n'ai commencé à discerner clairement que ces derniers jours. Beaucoup de gens prendront les choses comme elles viendront, des gens stupides et gras. Et plein aussi qui seront poursuivis par une sorte de sentiment que tout sera devenu anormal et qu'ils devraient agir d'une façon ou d'une autre. Vous savez, chaque fois qu'on en arrive à ce que plein de gens pensent que tout est anormal et qu'ils devraient agir d'une façon ou d'une autre, les faibles, ou ceux qui le sont devenus après d'intenses réflexions complexes, se rabattent toujours sur une sorte de religion prônant de ne rien faire, extrêmement pieuse et supérieure, et se soumettent à la volonté du Seigneur et à la persécution. Il est très probable que vous avez eu la même expérience. C'est l'énergie dans une tempête de trouille où tout part complètement sens dessus dessous. Ces cages seront remplies de psaumes, d'hymnes et de piété. Et ceux qui possèdent une tournure d'esprit moins simpliste œuvreront dans une sorte de, comment dire, d'érotisme.
— Romans de H. G. Wells (Litera, #9) (Page 872 - 873)
La science-fiction, c'est écrire au futur à propos du présent. C'est romancer demain pour évoquer aujourd'hui.
La science-fiction du XIXe siècle nous parle du XIXe siècle.
Et pourtant, cette citation me semble avoir traversé les siècles sans encombres, avec un texte aussi pertinent au milieu du XXe qu'en cette fin de 2024.