Nicolas Fressengeas a publié une critique de La transparence selon Irina par Benjamin Fogel
Un très bon premier roman.
3 étoiles
Impression mitigée donc, mais tout de même un excellent premier roman, je trouve, par l'univers qu'il crée pour ses personnages. L'action se situe à peine à trois décennies de notre présent : Internet a été remplacé par le Réseau, et nous avons --- enfin --- pris conscience des enjeux climatiques.
Le Réseau est une évolution d'Internet dans lequel la notion d'identité de l'utilisateur est devenu une place centrale. Je n'ai pas encore lu le préquel, Le silence selon Manon. J'ai cependant compris cette évolution comme une solution qui a été trouvée à la fois pour permettre de créer un environnement sécurisé sur Internet --- pour y faire des transactions bancaires par exemple ---, mais également pour luter contre les comportements que l'anonymat permet aujourd'hui. Les embryons technologiques permettant la levée de cet anonymat existent aujourd'hui via, par exemple, l'application France Identité.
Cet anonymat est par ailleurs actuellement tout relatif, car il requiert des compétences techniques certaines pour être assuré. La question se pose d'ailleurs de savoir si un réel anonymat sur Internet vis-à-vis des forces de l'ordre est encore possible en 2024. En 2050, le Réseau a résolu cette incertitude en promouvant une ouverture et une transparence totale à tous de toutes nos actions en ligne, mouvements bancaires compris. Toute cette transparence est résumée pour chacun dans son "métadicateur", une note sur 4 (je crois), attribuée à chaque être humain, à laquelle tout un chacun a accès, pour choisir de l'utiliser ou non. Cela n'est pas sans me rappeler un épisode de la délicieuse Black Mirror, voire, en moins délicieux, ce qui se passe aujourd'hui au sein d'un grand pays oriental.
Cette transparence est présentée dans le roman comme ayant eu un très fort impact sur tous nos comportements collectifs, atténuant très fortement la violence de nos sociétés, tout en permettant une prise de conscience sans précédent des enjeux climatiques. C'est ainsi que la notion même d'attentat a disparue, comme la possession d'une voiture personnelle. Citons également la libération, et, semble-t-il, la résolution quasi-totale de la question du genre.
Le lien entre transparence absolue et surveillance absolue éventuelle est abordée. La question d'une évolution possible du Réseau en un organe de contrôle au service d'un pouvoir dictatorial est évoquée, un peu discrètement à mon goût. En effet, autant la transparence a des effets bénéfiques --- et certains processus aujourd'hui gagneraient à être plus transparents ---, autant une transparence trop poussée peut emmener vers la surveillance et devenir un outil précieux pour des velléités fascistes. Voilà certes un aspect difficile de la question, qui m'aurait paru néanmoins central.
Finissons sur l'intrigue, point faible à mon sens. Pour résumer, je me suis demandé tout au long du roman à quel moment la création des décors allait s'achever pour embrayer vers son objet précis. L'avant-scène de l'ouvrage est prise par deux actrices, ou acteurs tant l'incertitude du genre est grande. Une organisation plus ou moins secrète joue également un rôle important. Appelée les Obscuranets, elle est la force d'opposition à l'omniprésence du Réseau. Je ne saurais cependant pas résumer le cœur de l'intrigue, que seul le dénouement sur les dernières pages m'a permis de saisir un peu. Trop d'événements à mon goût ont lieu sans réel lien avec l'intrigue générale. Un exemple significatif : un attentat perpétré par les Obscuranets. Ce dernier a attiré mon attention, car j'en avais lu une mention dans une présentation du livre. C'est un événement qui semble important, surtout du fait que les attentats ont quasiment disparu de par le fait du Réseau. Pourtant, il reste assez peu exploité au sein de l'intrigue.
Il ne faudrait cependant pas que cette faiblesse relative du récit empêche la lecture de cet ouvrage. L'univers qu'il crée est digne d'intérêt à lui seul. Rappelons aussi que c'est un premier roman, qui augure donc du mieux pour les suivants. Le préquel, Le silence selon Manon, est d'ailleurs déjà publié.
Bonne lecture !