Nicolas Fressengeas a publié une critique de Bikepunk par Ploum
Bikepunk : une joyeuse dystopie à ne pas manquer.
5 étoiles
Bikepunk, donc. Autant préciser d'emblée que la simple évocation du titre et de la thématique, entre maîtrise du vélo et dépendance technologique, ont immédiatement coché toutes mes cases littéraires et au-delà. Inconditionnel de l'œuvre avant même de l'avoir lue au point de manifester mon intérêt pour ses produits dérivés — t-shirts et polo —, j'en écris maintenant une chronique qui peut être influencée par cet a priori des plus favorables, essentiellement du fait d'une thématique largement au cœur de mes préoccupations majeures, personnelles comme professionnelles.
Et pourtant, Bikepunk m'a surpris. Je connaissais, les écrits de Ploum, du Stagiaire à Printeurs, et me targue immodestement de connaître l'univers littéraire de la science-fiction. Je peux l'écrire, désormais : j'ai beaucoup aimé les œuvres précédentes de Ploum, sans néanmoins pouvoir me départir de l'impression d'une maturation quelque peu inaboutie. Puis, ce fut Bikepunk. Ce roman montre sans conteste possible l'évolution du talent de Ploum vers une œuvre achevée, vers un ouvrage touchant au tout meilleur de la science-fiction telle que je l'apprécie : à la fois thriller divertissant et conte philosophique porteur d'une vérité crue.
Le tout meilleur par son thème. Une préoccupation majeure aujourd'hui, entre dépendances énergétique et technologique, que je découvre pour la première fois exposée par la fiction, à travers les pérégrinations cyclistes de Gaïa et Thy dans un monde post apocalyptique, sous une plume ciselée.
La technologie a causé la perte de l'humanité. Le vélo est une technologie. Les cyclistes sont haïs. Sommée de mettre son utérus à disposition de la communauté lors de sa puberté, Gaïa rejoint le cycliste paria Thy, et tous deux s'enfuient. C'est en traversant ou rejoignant d'autres communautés à travers les ruines d'une civilisation perdue qu'ils trouveront des réponses à des questions qu'ils ne s'étaient pas posées.
Bikepunk est un ouvrage précieux, car il aborde la thématique essentielle de l'envahissement technologique auquel nous sommes aujourd'hui confrontés, avec son cortège d'insidieuses de dépendances et de menaces sur les fondements mêmes de nos démocraties et du climat de notre planète. Et pourtant, contrairement à la plupart des articles et des essais sur le sujet, Bikepunk est joyeux. C'est un roman enlevé, un page turner en bon français, un roman qui ne vous lâche pas. Mais c'est aussi, toujours en bon français, un feel good book, une science-fiction post apocalyptique joyeuse, qui n'est pas sans rappeler La Route, le chef-d'œuvre de Cormac McCarthy, dont Bikepunk prend le contre-pied émotionnel tout en en partageant les paysages. Précieux, donc, pour porter ces thématiques difficiles et essentielles auprès d'un public autrement hors de portée.
Vous avez compris. J'ai adoré Bikepunk. Cela fait bien longtemps que je ne m'étais pas plongé dans un livre de cette qualité. Merci Ploum, et bravo. Merci aussi à Bruno Leyval, illustrateur, et à PVH éditions, pour la qualité de l'objet livre lui-même.
Pour conclure cette critique, dithyrambique, je le crains, il me faut absolument vous donner quelques extraits des chroniques du flash, garanties sans informations susceptibles de perturber le plaisir de la lecture de Bikepunk. La dernière est ma préférée.
Page 12
Mais sans les routes lisses et parfaites nécessaires aux voitures, il n'était pas possible de créer les premiers vélos. Sans les pneumatiques conçus pour absorber les vibrations d'une tonne de métal en mouvement, il n'aurait pas été imaginable d'inventer le VTT. En ce sens, le vélo représente "la voiture nouvelle génération", le descendant direct de l'automobile.
Page 21
Toute technologie vient avec son questionnement : en sommes-nous le maître ou l'esclave ? Est-ce un progrès ou un affaiblissement ?
Page 63
Avec l'avion, le train et la voiture, l'humanité avait inventé la téléportation. Elle ne se déplaçait plus que d'un aéroport à une gare ou à une sortie d'autoroute. Les paysages n'étaient plus que des décors vaguement pittoresques aperçus depuis les abords de stations d'essence toutes identiques.
Le piéton devint une espèce réduite à se déplacer vers ou depuis une place de parking. Marcher un kilomètre entre deux points n'était même plus envisageable tant le territoire entre les routes semblait inconnu, hostile.
Page 201
Un sac sur le dos ou sur la selle, les humains s'aventuraient parfois hors des villes. Pour quelques heures ou quelques jours, les immeubles laissaient la place aux arbres, le chant des oiseaux remplaçait le bruit des voitures. La solitude des paysages se substituait aux conversations incessantes.
Malgré l'épuisement la saleté et la puanteur un énorme sourire traversait le visage de celleux qui rentraient chez iels les muscles douloureux et le corps couvert d'écorchures.
"Rien", répondaient-iels à celleux qui leur demandaient quel équipement moderne connecté leur avait le plus manqué durant l'expédition. À la question "Alors, c'était bien?", la langue se trouvait démunie pour répondre autrement que par un regard lointain.
Un regard qui se portait déjà sur la prochaine aventure.
Page 219
Nous croyions échanger entre humains, mais nous ne faisions qu'envoyer nos correspondances à des algorithmes automatiques qui les agrégeaient pour ensuite produire du contenu idéal, affichant sur nos écrans les messages ayant la plus grande probabilité d'accroître notre consommation.
Incapables de communiquer sans algorithmes interposés, les humains étaient prisonniers, condamnés à l'abrutissement solitaire.
Une minorité s'en rendit compte et décida de lutter. Ses membres tentèrent, pour la millième fois de l'histoire, de réinventer la communication entre humains, de nous avertir.
Personne ne les entendit. Personne ne les remarqua. Leurs messages n'avaient, après tout, qu'une trop faible probabilité d'augmenter notre consommation.