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Philippe Descola, Alessandro Pignocchi: Ethnographies des mondes à venir (Paperback, French language, 2022, Seuil)

Au cours d’une conversation très libre, Alessandro Pignocchi, auteur de BD écologiste, invite Philippe Descola, …

Avec un regard évolutionniste, les sociétés non modernes ne peuvent être décrites que par le manque et l'incomplétude, alors qu'un changement de perspective les fait apparaître comme des systèmes tout à fait matures. Ainsi, on ne dira plus d'une société égalitaire qu'elle n'a pas encore su se doter d'une structure hiérarchisée de type étatique, mais au contraire qu'elle est parvenue à façonner des institutions efficaces pour empêcher son apparition. Dans les termes de Graeber et Wengrow, le passé de l'humanité ressemble « bien plus à un défilé de carnaval où paradent toutes les configurations politiques imaginables qu'aux mornes abstractions de la théorie évolutionniste ».

Insister sur le caractère foisonnant et bourgeonnant de l'histoire des sociétés humaines, et surtout sur le rôle déterminant joué le choix réfléchi, est essentiel pour nourrir des perspectives politiques un tant soit peu réjouissantes. C'est bien sûr particulièrement important lorsqu'on aspire, comme c'est notre cas, à fissurer le naturalisme pour laisser émerger d'autres façons d'être au monde et, ainsi, plus d'hétérogénéité dans la vie sociale. Formuler de tels projets nécessite de résister aux analyses fatalistes et à l'accusation sans cesse renvoyée d'attendrissante naïveté. Il est encourageant de se dire, avec Graeber et Wengrow, que cette perspective n'a rien d'ingénue, puisque l'hétérogénéité sociale et la liberté de choisir ses modes d'organisation ont été la règle dans l'histoire de l'humanité. En prenant un peu de distance, c'est bien plutôt l'uniformité et le blocage actuels qui font figure d'étranges exceptions. L'hégémonie de l'État-nation capitaliste, la façon dont il organise et stabilise différentes formes de domination, est toute contingente et peut très bien être dépassée.

Ethnographies des mondes à venir de , (Page 62 - 63)

Dans ce livre-dialogue, cette citation est dans la bouche d'Alessandro Pignocchi. J'aime beaucoup la métaphore citée de «défilé de carnaval» pour décrire l'évolution des sociétés humaines.