Les humains de toutes sortes et les idées qu'ils se font des collectifs où ils sont insérés, les animaux et les machines, les plantes et les divinités, les gènes et les conventions, toute la multitude immense des existants actuels et potentiels trouverait-elle un refuge plus accueillant dans un régime inédit de cohabitation qui récuserait à nouveau la discrimination entre humains et non-humains sans recourir pour autant à des formules déjà éprouvées auparavant? Peut-être, mais là n'est pas mon propos. (...) ce n'est pas le rôle qui convient à une théorie anthropologique comme celle que j'ai brossée à grands traits. Sa visée se limite à jeter les bases d'une façon de concevoir la diversité des principes de schématisation de l'expérience qui serait dégagée des préjugés que modernité nous conduit à entretenir quant à l'état du monde ; elle n'est pas de proposer des modèles de vie commune, de nouvelles formes d'attachement aux êtres et aux choses ou une réforme des pratiques, des mœurs et des institutions. Qu'une telle réforme soit indispensable, tout l'indique autour de nous, depuis la révoltante disparité des conditions d'existence entre les pays du Sud et les pays du Nord jusqu'à la dégradation alarmante des grands équilibres de la biosphère sous l'effet de l'action humaine. Mais l'on aurait tort de penser que les Indiens d'Ama- zonie, les Aborigènes australiens ou les moines du Tibet seraient porteurs d'une sagesse plus profonde pour le temps présent que le naturalisme claudicant de la modernité tardive.