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Donna J. Haraway: Vivre avec le trouble (French language, 2020) Aucune note

Vivre avec le trouble, c’est entrer dans un monde étrange — le nôtre — où …

Tant de récits de l’histoire de la Terre sont prisonniers du fantasme de la beauté des premiers mots et des premières armes, de la beauté des premières armes comme mots, et vice versa. L’outil, l’arme, le mot. Le mot qui s’est fait chair à l’image du dieu céleste. C’est ça Anthropos ! C’est une histoire tragique qui ne compte qu’un seul véritable acteur, un seul véritable faiseur de monde : le héros. C’est l’histoire de l’Homme en chasseur cherchant à tuer et à ramener son effroyable butin. C’est le récit tranchant, acéré et combatif d’une action qui repousse au-delà du supportable la souffrance de la passivité gluante, terrestre et pourrie. Dans ce genre d’histoire viriloïde, tout autre protagoniste est accessoire, support, domaine, espace pour l’intrigue ou proie. Sans importance aucune, son rôle n’est pas de voyager ou d’engendrer, mais de se trouver sur le passage, d’être un obstacle à franchir, ou encore une voie, un conduit. Que ses beaux mots et ses belles armes n’aient aucune valeur sans un sac, un récipient ou un filet pour les contenir, c’est bien la dernière chose que le héros veut savoir. Nul aventurier, toutefois, ne devrait quitter la maison sans un sac. Mais comment une écharpe, un pot ou une bouteille entrent-ils tout à coup dans l’histoire ? Comment ces humbles choses permettent-elles à l’histoire de continuer ? Ou – ce qui est peut-être pire pour le héros – comment ces objets concaves, évidés, ces trous dans l’Être, engendrent-ils, dès le départ, des histoires riches, plus insolites, plus denses, des histoires inconvenantes, des histoires sans conclusion, des histoires où le chasseur a sa place, mais dont il n’est pas, ou n’a pas été, le sujet, lui, l’humain qui se fait tout seul, la machine à faire l’humain dans l’histoire ? La courbure légère d’une coquille qui contient juste un peu d’eau, juste quelques graines à donner ou à recevoir, suggère des histoires de devenir-avec, d’induction réciproque et d’espèces compagnes dont la vie et la mort n’ont pas pour rôle de mettre un point final aux récits, d’achever les mondes en formation. Avec une coquille et un filet, devenir humain, devenir humus, devenir Terrien, prend une tout autre forme : la forme sinueuse, qui avance tel un crotal, du devenir-avec.

Vivre avec le trouble de  (Page 259)

Dans la continuité d"Autobiographie d'un poulpe", j'ai plongé dans "Vivre avec le trouble" (qui m'attendait depuis fort longtemps). La manière dont Vinciane Despret et Donna Haraway dialoguent (et dont leurs oeuvres résonnent entre elles) est particulièrement stimulante. Le tout aussi en référence à l'oeuvre science-fictionnelle d'Ursula Le Guin. Et justement, dans ce passage cité, Donna Haraway propose sa réception et prolonge la fameuse théorie de la fiction-panier d'Ursula Le Guin.

@auz Oui, et du coup, me voilà avec une longue pile à lire qui s'annonce particulièrement stimulante :) (et présentement beaucoup de difficultés à me concentrer sur la rédaction de cet article à rendre pour début septembre - dont tout ça n'était pas directement l'objet initial, mais quand même un peu, donc tout se connecte et s'entremêle de façon trop indisciplinée à ce stade 😅)

@Ameimse@bw.heraut.eu

@ameimse@sciences.re @Ameimse@bw.heraut.eu
En pleine rédaction d'article également, un premier jet à amender par les coauteurices. Le milieu du mois d'août pour cela est parfait ❤️ J'y convoque justement Haraway et consort.
Ça ouvre de sacrées portes !
Et les cadres et barrières disciplinaires parfois ce sont juste des œillères. Cette perspective épistémologique-là invite à penser en réseau. Plus on sera nombreux/ses à se situer ainsi plus cela aura valeur de paradigme :)