Nout, opéra spatial
5 étoiles
Après la lecture marquante d''Agrapha' en début d'année, j'ai plus rapidement osé me plonger dans le nouveau roman de luvan. Un peu moins intimidée peut-être, très curieuse et avec beaucoup d'attente également : 'Nout' a été une nouvelle expérience littéraire, d'imaginaire et d'émerveillement, que j'ai particulièrement savourée.
L'histoire qui s'y déploie est d'une ampleur difficile à appréhender, jouant sur les limites de nos capacités à concevoir et à se représenter ce, et qui, est advenu durant une période tellement immense qu’elle-même a un parfum d'incommensurabilité. En effet, à la suite du surgissement d'une seconde étoile, la Terre a valsé hors de son orbite : devenue « Terra Lapsa », avec une Lune restée à ses côtés, elle évolue désormais sur une trajectoire qui a complètement changé la planète. Cataclysme du point de vue de la vie qui y existait (dont la vie humaine), fin d'un monde… mais pas « la fin du monde » au sens où la vie sur cette Terre devenue lointaine et autre s'est poursuivie. Des millions d'années plus tard, des créatures hybridées s'adressent à une compositrice humaine du XVIIe siècle, Francesca, et lui confient la trajectoire de cette « Terra Proxima » devenue « Terra Lapsa », la destinée d'une vie terrestre ayant désormais évolué au-delà de ce qu'il lui est possible d'envisager. Cette co-narratrice quasi-contemporaine constitue un point de repère pour les lecteurices, confrontée au dilemme de réceptionner, d'appréhender et de traduire dans son œuvre artistique ce qui lui est transmis. Entremêlant les niveaux de lecture, 'Nout' est donc aussi une œuvre par laquelle l'autrice nous relate en filigrane la création d'une autre œuvre artistique, un opéra sur lequel le roman se conclut.
Évoquant des bouleversements et des mutations de vie terrestre couvrant des millions d'années, 'Nout' est aussi fascinant que déstabilisant par la démesure qu’il laisse entrevoir et tente de retranscrire. Récit rétrospectif depuis le point de vue de descendances lointaines, l'ensemble oscille entre un registre d’altérité à bien des égards insurmontable, et une forme de proximité qui se crée au fil de l’adresse et du lien qui s’établit autour de ce récit que ces créatures hybridées entreprennent de raconter à Francesca. Perturbant différents repères traditionnels de narration, le récit se déploie à une échelle non anthropocentrée, parlant d’évolution d'un vivant terrestre au sein duquel les « ancêtres hominides » sont des ascendances parmi d'autres. L'adresse s'adapte cependant à la perspective de Francesca, en un long poème lyrique, parsemé de jeux d’intertextualité, entremêlant références historiques, scientifiques, étymologiques ou encore philosophiques.
C'est ainsi une histoire d'évolution sans conquête, sans héro·ïnes, que 'Nout' esquisse au fil d'une magnifique ode au vivant et à ce que peut l'imaginaire. Une oeuvre que j'ai beaucoup aimée, et dont, je pense, toute relecture sera savoureuse : je vais la ranger dans un coin accessible de ma bibliothèque.