LienRag a publié une critique de Message pour l'éternité par Roger Leloup (Yoko Tsuno, #5)
l'entrée dans l'autre monde
Avertissement sur le contenu spoiler sur la deuxième moitié de l'album
Jusqu'à la page 30, "Message pour l'éternité" est une aventure d'espionnage classique mâtinée de la technophilie classique à la fois chez Leloup et dans le genre. Et soudain page 30, après avoir la page précédente été averti du mystère qu'est la tache étoilée (et avoir été intrigué dès le début par le mystère du message fantôme), Yoko se pose dans le cratère. La dernière case la voit constater des sacrifices "humains", basculant dans un autre registre. Et la première case de la page suivante la voit confrontée au mystère d'une force mystérieuse, qui lui fait perdre l'équilibre (et symboliquement, sa force).
Immédiatement, on a l'explication scientifique de ce phénomène (mais le mystère des rites sacrificiels reste en arrière-plan, sans explication, donnant donc une cause symbolique potentielle et horrifique à son entrée dans un monde aux règles différentes - d'autant plus que l'on était averti peu avant que la nuit allait tomber).
Mais pour autant, si l'aspect naturaliste de la série n'est jamais directement mis en question (et est donc renforcé par l'explication scientifique immédiate du mystère), le cadrage va maintenir Yoko dans des plans resserrés la confrontant au paysage de désolation minérale (qui rappelle beaucoup le Cosmoschtroumpf, autre histoire où l'étrangeté d'un paysage suggère un tout autre monde) dans lequel elle se trouve enfermée (et qui pourtant n'a que la surface très réduite du cratère).
C'est dans ce microcosme étouffant qu'elle va être confrontée à des ennemis parfaitement humains et naturels mais portant en même temps une dimension cosmogonique qui, toujours grâce au cadrage extrêmement maîtrisé, va donner une crédibilité au sentiment de terreur surnaturelle qui imprègne subtilement le récit.
Cela ne dure que douze pages, mais ces douze pages au rythme de parution de l'époque accompagnaient le lecteur pendant six semaines passées à trembler pour Yoko. Une parfaite maîtrise du matériel narratif et un succès époustouflant de la bande dessinée... Même si malheureusement cela rend quand même moins bien en album, vu que même en s'attardant sur chaque planche on peut très difficilement retrouver l'immersion de la prépublication.
Il n'y a donc aucune trahison du genre, mais en même temps surimpression de celui-ci par un autre genre, celui du fantastique horrifique à thématique coloniale, pour produire un mélange paradoxal mais extrêmement efficace.
