Entre nous, il n’y avait jamais de cessez-le-feu, c’étaient d’incessants tirs de barrage de part et d’autre. Un courant de haute tension nous traversait, je lui retournais ses compliments, j’ironisais sur sa préférence marquée pour le trio infernal, elle me répondait par un autre coup de bec. Mon père, d’une voix timide, l’apaisait en lui disant qu’on ne prend pas les mouches avec du vinaigre. Puis, d’un ton plus énergique, il me conjurait de ne pas aggraver mon cas : j’étais trop mordante, j’avais un humour au vitriol… Calmos ! Il en avait jusque-là de ces ping-pongs où elle et moi on se renvoyait la balle. Pouvait-il déjeuner en paix ? Ma mère, la mine revêche, chiffonnait sa serviette, tambourinait sur la table, avant de lui assener son argument massue : mon éducation était sa chasse gardée, et elle avait fort à faire, puisque j’étais d’une insolence rare. Après cela, je passais un mauvais quart d’heure. Elle accusait son mari d’être envers moi d’une indulgence pousse-au-crime, elle m’infligeait un carton jaune. J’allais voir ce qui me tomberait sur le râble si je ne m’amendais pas. Où donc avais-je contracté cette sale habitude de la faire devenir chèvre ? En voilà, une poison ! Et le trio infernal de branler la tête, pendant que mon père mettait bas les armes et ne proférait plus la moindre phrase en ma faveur.