C'est une émission intitulée Elon Musk a jeté du fumier dans la piscine de l’info : migrons ensemble dans celle d’à côté diffusée par Médiapart le 17 décembre 2024 qui m'a finalement décidé à me procurer Toxic Data via ma Petite Librairie préférée. Médiapart avait en effet invité son auteur, David Chavalarias, aux côtés de Asma Mhalla, autrice de Technopolitique, que j'avais déjà particulièrement apprécié.
Je ne fus pas déçu. Toxic Data est un livre qui permet enfin de dépasser les idées reçues et les diverses opinions peu étayées à propos de l'influence des réseaux numériques en général, et des réseaux sociaux numériques en particulier, sur nous, nos sociétés et nos démocraties. Entre sociologie et mathématique, c'est en effet un livre de science qui, à ce titre, conserve le recul et l'impartialité nécessaire à toute analyse rigoureuse, particulièrement sur un sujet aussi débattu.
C'est même un ouvrage de science expérimentale ! L'instrument d'observation est un macroscope politique qui permet, via l'analyse des messages échangés sur Twitter, du temps où il s'appelait encore ainsi, de mesurer le contenu politique qui y circule et les communautés qui s'y créent. J'ai été particulièrement frappé par l'analyse quantitative qui permet de comparer la taille des chambres d'écho autour d'un sujet donné à l'écart du nombre de voix entre des candidats à des élections françaises : cette analyse seule vaut le détour.
L'ouvrage est divisé en douze chapitres, répartis en trois parties, séparées par des entractes.
La première partie pose naturellement le décor. Le lecteur y découvre les grandes manœuvres internationales qui jouent avec l'opinion politique française, et en désosse les mécanismes. Bien qu'en ayant eu l'intuition et m'étant documenté sur ces aspects, j'avoue que je n'avais pas compris les méthodes ni réalisé l'ampleur de ce qui est à l'œuvre. L'on entend souvent utiliser les termes de réseaux sociaux pour désigner les réseaux sociaux numériques. David Chavalarias illustre au cours de cette première partie les différences entre nos réseaux sociaux habituels, via des interactions directes entre êtres humains, et les réseaux sociaux fabriqués par le truchement de la communication numérique instantanée, adaptée, modifiée et perturbée par les algorithmes qui régissent les plateformes commerciales qui nous les offrent. C'est également au cours de cette première partie que nous est présenté l'instrument principal d'observation de nos sociétés numériques : le politoscope. Œuvrant aux temps qui nous semblent éloignés où Twitter s'appelait toujours ainsi, il fonctionne par captation d'un nombre gigantesque de messages qui y sont échangés. Une analyse mathématique en est ensuite réalisée, analyse qui permet notamment la production de graphiques, accessibles aux profanes, disponibles dans le feuillet couleur du livre et dans l'annexe numérique : toxicdata.chavalarias.org.
La deuxième partie mêle l'ensemble des concepts introduits ci-dessus pour expliciter les stratégies mise en œuvre par différents acteurs pour faire évoluer nos sociétés en fonctions de leurs intérêts. Les intérêts en question peuvent être de natures différentes. Ils sont souvent pécuniaires pour commencer : les plateformes hébergeant les réseaux sociaux numériques les plus connus ont été créées dans un but lucratif. D'autres acteurs, comme des états, ont, eux, des objectifs politiques, voire militaires. L'utilisation des technologies sociales numériques est d'ailleurs inscrite en toutes lettres dans leur doctrine militaire, laquelle est d'ailleurs publique (voir aussi à ce sujet : Technopolitique). L'actualité récente montre par ailleurs de manière assez brutale la convergence entre ces deux catégories d'intérêt, pour en faire un seul.
La troisième et dernière partie explicite les conséquences politiques de ces agissements sur notre pays. Elle montre comment et pourquoi le fonctionnement des démocraties et celui des réseaux sociaux numériques commerciaux à but lucratif sont incompatibles. Pire, elle donne la démonstration, basée sur des faits et un raisonnement logique que ces réseaux commerciaux dont la taille dépasse souvent celle des états, ne sont compatibles sur le long terme qu'avec les régimes politiques autoritaires.
À lire d'urgence, donc.