Ameimse a publié une critique de Défense d'extinction par Ray Nayler
Défense d'extinction
5 étoiles
"Défense d'extinction" est une novella de science-fiction qui démontre combien ce genre peut ouvrir des espaces de réflexivité pluriels. Dans un futur proche (un peu plus d'un siècle, sans plus de précision apportée), des scientifiques sont parvenus à recréer des mammouths. Mais force est de constater que la création biologique ne suffit pas à elle-seule pour assurer leur survie dans les plaines de la taïga russe. Ces animaux n'ont en effet aucun repère pour vivre à l'état sauvage. D'où une deuxième idée : injecter la conscience sauvegardée d'une experte en éléphants, ayant vécu à une époque où ces derniers existaient encore en Afrique, dans le corps d'une mammouth. Sa mission : guider les mammouths et leur transmettre son savoir pour leur apprendre à survivre de façon autonome.
Partant d'un tel concept de départ, la novella est tout d'abord pour l'auteur l'occasion d'une critique frontale de l'avidité de ces chasseurs humains …
"Défense d'extinction" est une novella de science-fiction qui démontre combien ce genre peut ouvrir des espaces de réflexivité pluriels. Dans un futur proche (un peu plus d'un siècle, sans plus de précision apportée), des scientifiques sont parvenus à recréer des mammouths. Mais force est de constater que la création biologique ne suffit pas à elle-seule pour assurer leur survie dans les plaines de la taïga russe. Ces animaux n'ont en effet aucun repère pour vivre à l'état sauvage. D'où une deuxième idée : injecter la conscience sauvegardée d'une experte en éléphants, ayant vécu à une époque où ces derniers existaient encore en Afrique, dans le corps d'une mammouth. Sa mission : guider les mammouths et leur transmettre son savoir pour leur apprendre à survivre de façon autonome.
Partant d'un tel concept de départ, la novella est tout d'abord pour l'auteur l'occasion d'une critique frontale de l'avidité de ces chasseurs humains qui, dans leur folle course à l'ivoire, massacrent sans arrière-pensée des espèces entières pour le profit. Le propos est ici désenchanté, et même désabusé, tant rien ne semble avoir changé, entre ce qui provoqua l'extinction des éléphants sauvages évoquée dans la novella et l'attrait que représentent ces mammouths pour des braconniers. L'appât du gain n'est même pas la seule motivation, puisqu'est aussi mis en scène un humain prêt à payer pour l'attrait de la chasse elle-même et ce que représente le fait de tuer un tel animal. La novella invite ici à questionner la chosification à l'oeuvre qui rend légitime ces diverses chasses.
En parallèle, "Défense d'extinction" prend ces distances avec cette représentation pour esquisser une certaine désanthropisation de notre regard. Elle le fait au fil de la narration de Damira, cette scientifique dont la conscience se déploie désormais au sein d'un corps de mammouth. En partant de l'idée que la création biologique ne suffit pas pour survivre, la novella nous montre comment Damira va animer et contribuer à construire un savoir, une culture, au fond une certaine sociabilité, au sein de la communauté matriarcale qu'elle mène. L'éclairage sur les dynamiques relationnelles au sein du groupe de mammouths, à partir du point de vue de Damira, est l'occasion pour le texte de restituer une place aux un·es et aux autres en les envisageant dans leur subjectivité. En filigrane, la novella questionne la frontière du biologique et du social, de l'inné et de l'acquis, tout en troublant les frontières des espèces dans une dimension science-fictionnelle : une humaine, socialisée au sein de la société humaine durant toute sa vie, qui, en se retrouvant dans ce corps de mammouth, se retrouve aussi influencé par des sens qui lui apportent une autre perception du monde, par un cerveau qui lui confère un autre rapport au temps.
Ce dernier contribue à une thématique centrale qui traverse d'ailleurs l'ensemble du texte : derrière un certain rapport au temps, c'est l'enjeu de la mémoire qui transparaît. La mémoire individuelle d'humain·es, celle en train de se construire de mammouths recréés, le souvenir d'éléphants sauvages dont il ne reste que des mentions dans des livres d'histoire... Une mémoire qui contribue à trouver sa place, une mémoire qui porte des traumas, mais aussi une mémoire qui s'étiole, qui fuit avec le temps, au fil des événements. Cela renforce d'autant la mélancolie du texte.
Au final, en esquissant une certaine désanthropisation du regard, et en mettant en scène ce qui devient un affrontement - car le groupe de mammouths ne laissera pas impuni le meurtre de plusieurs des siens -, "Défense d'extinction" invite à se questionner sur la possibilité d'une cohabitation de l'espèce humaine avec d'autres espèces animales, en les considérant comme des protagonistes à part entière. La novella n'apporte pas de réponses, mais elle marque en soulevant justement des questions fondamentales sur le rapport des humains à d'autres espèces.