À l’époque, à l’époque. À l’époque des armes à feu. On ne sait pas au juste ce qu’on veut dire par à l’époque ; « av. J.-C. », « ap. J.-C. », puis « à l’époque ». Quand, au juste, en quelle année ? L’enfance évanouie de Yash et Maliah. Avant le cad. Avant les méga-tempêtes – l’ultime, et l’ultime d’après, et toutes les suivantes, qui souvent, mais pas toujours, déboulaient dans la vallée comme un géant qui se cognait le gros orteil et s’effondrait sur nous dans une rage impuissante qui nous bombardait de décombres. Elles n’ont pas causé la fin de tout, nous disions-nous : la fin arrivait de toute façon. Mais on ne sait pas bien ce qui a été responsable de la scission entre à l’époque et maintenant. Tout a brûlé, tout s’est envolé, sans laisser de traces, comme un cadavre qui ne s’est pas fossilisé.
À mesure qu’on mine les décharges (au moins, ils nous ont laissé beaucoup de plastique, c’était gentil) et qu’on s’enfonce dans les caves et les archives pour dénicher les livres que nos ancêtres n’ont pas brûlés pour survivre aux hivers, on la ressent parfois, cette rage qui vous envahit comme une bouffée d’air chaud devant un feu, qui vous soulève aux épaules ou vous traverse comme une tornade – la rage d’être né trop tard, de l’avoir raté, une rage dirigée contre ceux qui en ont profité d’une manière qui nous en a privés.
Et on ne sait même pas à quoi ce « en » fait référence. On sait seulement qu’on veut en avoir notre part, que ça n’arrivera jamais : à cause d’eux, c’est impossible. Ce qui a été brisé, on ne pourra jamais le réparer.
On trouve tout ça dans les romans : smartphones, Internet, satellites, Station spatiale internationale, croisières, voyages, SMS, trains, survoler des pays entiers en avion, avec les ombres des nuages, noires et humides, qui courent sur la terre comme de l’encre ; mais aussi tout ce qui y figure sans que l’auteur n’y prête attention, tant c’était normal, et qu’il nous permet de voir du coin de son œil. Restaurants. Riz. Bennes à ordures. Préservatifs. Bosons. Irrigations. Pensions. Bananes.
Je songe : Bordel de Dieu, imagine un monde où on pouvait avoir peur de voler.