Ameimse a cité Lavinia par Ursula K. Le Guin
Mon destin, semble-t-il, était de vivre parmi des gens que le deuil faisait souffrir outre mesure, qu'il rendait fous. Moi, je souffrais du deuil, mais j'étais condamnée à rester saine d'esprit. Ce n'était pas l'oeuvre du poète. Je sais qu'il ne m'a donné que rougeurs modestes et pas la moindre personnalité. Il dit, je le sais, qu'à la mort de ma mère j'ai déliré en arrachant des mèches de mes cheveux d'or. Il n'a pas fait attention, c'est tout : quand elle est morte, j'étais muette, je ne pleurais pas, je ne pensais qu'à rendre décent sa pauvre dépouille souillée. Et mes cheveux ont toujours été bruns. À la vérité, il ne m'a rien donné qu'un nom, un nom que j'ai rempli de moi-même. Pourtant, sans le poète, aurais-je seulement un nom ? Je ne lui en ai jamais voulu. Même un poète ne peut pas toujours tout comprendre. Mais il est étrange qu'il ne m'ait pas donné de voix. Je ne lui avais jamais parlé avant que nous nous rencontrions près de l'autel, cette nuit-là, sous les chênes. Je me demande d'où vient ma voix. D'où vient ma voix qui crie dans le vent sur les hauteurs d'Albunea, ma voix qui parle sans bouche ni lèvres une autre langue que la sienne ?
— Lavinia de Ursula K. Le Guin (96%)
Une ultime citation extraite de "Lavinia", parce que c'est une lecture dans laquelle j'ai relu plusieurs fois bien des passages, juste pour le plaisir de les savourer.