Après "Cimqa" lu il y a quelques mois, j'étais curieuse de retrouver l'univers d'Auriane Velten, l'autrice se proposant de continuer d'explorer nos imaginaires et ici, tout particulièrement, leur portée.
"C'est-comme-ça" nous entraîne en effet dans le sillage de Cassandre, réinventée sous des plumes diverses depuis Homère et la guerre de Troie, devenue "Cass" ou encore "Kassandra" pour l'autrice allemande qui cultive son souvenir lors des événements que relate le livre. Croyance plus ou moins incarnée, avec une présence matérielle qu'elle peut faire varier, elle nous entraîne dans un univers où cohabitent des croyances issues de sources plurielles. Pour façonner son monde, Auriane Velten prend un malin plaisir à brouiller les catégories du religieux, du littéraire, du social : des figures du panthéon grec évoluent ainsi aux côtés de légendes médiévales, de personnages issus du monothéisme chrétien, et ainsi de suite... Et c'est d'ailleurs sur l'enterrement de l'une d'entre elles que s'ouvre le roman : celui de Robin des Bois. Les intuitions de Cass la poussent à tenter de comprendre, à rebours des autres croyances qui considèrent que cela n'est qu'un processus de disparition normal.
Sur de telles bases, "C'est-comme-ça" démarre comme une enquête policière. Pour étayer ses soupçons, Cass nous dévoile ainsi son univers, ses codes et ces diverses croyances aux passifs et aux rapports parfois conflictuels. Parmi ces figures d'imaginaires divers qui prennent donc vie et s'incarnent sous nos yeux, Cass retient l'attention en tant que personnage principal par sa dissonance. Le roman s'attarde sur ses états d'âme, sur l'anxiété qui la saisit en tant que "petite" croyance isolée ayant assuré comme elle le pouvait sa survie depuis plusieurs millénaires, mais aussi sur l'emprise qu'exerce toujours sur elle une figure abusive antagoniste du passé en la personne d'Apollon. Au fil des pages, Auriane Velten décrit un personnage qui lutte autant contre d'autres que contre ses traumatismes et les propres limitations qu'elle s'est imposée, contre des doutes qui ressurgissent en permanence. L'autrice joue de répétitions pour forcer le trait, traçant métaphoriquement des barreaux immatériels qui délimitent ce que Cass croit pouvoir.
C'est ensuite dans le second temps du récit que la thèse de l'autrice trouve pleinement à s'exprimer, et que le titre du roman prend tout son sens, "C'est-comme-ça". L'oeuvre explore alors l'importance et la portée des croyances, le pouvoir des imaginaires, en mettant en scène un affrontement, lui bien incarné, contre un nouveau registre de croyance, fataliste et standardisé, incarnation d'un imaginaire mortifère en train de se diffuser partout. On se trouve en quelque sorte face au "il n'y a pas d'alternative" thatchérien incarné, lequel vient heurter de plein fouet la pluralité des imaginaires débridés que l'humanité a pu construire et nourrir depuis des millénaires. L'autrice investit cette thématique en proposant un plaidoyer autour de l'importance des croyances : non seulement sur l'importance de leur diversité pour l'humanité en général, mais aussi pour soi, comme en témoigne l'évolution de la figure de Cass. Figure s'étant enfermée dans certaines images d'elle-même, n'ayant pas pris la mesure de toute la diversité qui pouvait la nourrir et la renforcer, elle va prendre conscience des limitations qu'elle peut dépasser, de la force qu'elle peut trouver dans des (res)sources jusqu'alors inconnues.
En résumé, un roman extrêmement métaphorique, parfois un peu déroutant pour le trait que l'autrice force parfois pour mener à bien son projet, mais qui explore, en les incarnant, des thématiques stimulantes. L'expérience romanesque donne une lecture plaisante sur le moment, qui décolle véritablement dans la deuxième partie où tout prend sens, et qui accompagne les lecteurices une fois l'ouvrage refermé. Une déclinaison personnelle d'Auriane Velten autour de "croire et pouvoir" qui me donne envie de continuer à suivre ses écrits.