Notre grève de la faim lui [Tassia sa co-détenue] paraissait un effrayant non-sens qui ne justifiait pas qu'on y laisse la vie. Elle pensait qu'il aurait mieux valu supporter n'importe quelles conditions carcérales, consacrer nos forces à survivre quelles que soient les conditions, plutôt que de mourir de faim sans aucune perspective.
Mon opinion était autre. Mourir en prison pour le droit à la vie n'était déjà pas si mal. Bien plus grave était de mourir sans lutter pour obtenir des conditions permettant notre survie. Dans les conditions de l'isolateur politique, les gens perdaient des forces, s'affaiblissaient, tombaient malades, mais ils pouvaient tout de même se maintenir en vie. Dans les conditions imposées par ce durcissement du régime, beaucoup allait périr. Tassia elle-même y survivrait-elle ? Mais je pensais également que nous ne gagnerions rien par cette grève, que la collectivité n'irait pas jusqu'au bout. Si les bolchéviks [les staliniens] instituaient ce régime dans le but de nous anéantir, tous ceux qui n'étaient pas morts pendant leur grève de la faim mourraient ensuite, les uns après les autres. Pourquoi serait-il pire de mourir en combattant, en gardant foi dans la victoire ? Bref, notre mort serait justifiée par notre combat.
Tassia hochait la tête négativement.
« Notre mort n'aura aucune signification, aucune portée, nous mourrons en vain.
« Pourquoi jeûnez-vous, Tassia ?
« Comment ne pas jeûner quand tous les camarades le font ? Je n'ai pas le choix. Je ne peux que mourir, bien que tout mon être proteste contre cette mort.
Tassia, à sa manière, avait raison. Mais c'était précisément lorsque les gens faisaient la grève de la faim dans cet état d'esprit que la grève était vouée à l'échec.