Anthony a terminé la lecture de Les Vilaines par Camila Sosa Villada

Les Vilaines de Camila Sosa Villada
La nuit, dans le parc Sarmiento à Córdoba en Argentine, la Tante Encarna arpente les allées sur ses talons aiguilles …
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55% terminé ! Anthony a lu 29 sur 52 livres.
La nuit, dans le parc Sarmiento à Córdoba en Argentine, la Tante Encarna arpente les allées sur ses talons aiguilles …
Les usages de l’aristocratie relèvent pour l’essentiel, comme dans tout milieu, de codes tacites. Leur spécificité est de se prévaloir du temps, ce temps long de l’histoire, qui trace, enregistre, accumule un savoir immémorial sur l’art de la performance sociale. Prétendre à l’antériorité, ce n’est pas seulement se passer de ratification, mais s’assurer la maîtrise du récit. De cette grande machinerie de la sociabilité, aucun rouage ne doit se voir. Personne ne remarque l’équidistance des couverts, aussi transparente que l’existence du maître d’hôtel travaillant dans les coulisses. Justement. L’invisibilité fonde l’illusion d’un monde parfait, miracle perpétuel et désincarné ; elle en est la condition silencieuse, la clé de voûte.
— Proust, roman familial de Laure Murat (2%)
Le ciel des trans doit être beau comme les paysages éblouissants de la mémoire, un lieu où passer l'éternité sans s'ennuyer. Les louves trans qui meurent en hiver sont accueillies en grande pompe et dans la plus grande joie. Dans ce monde parallèle, elles reçoivent toute la bonté que le monde n'a pas daigné leur concéder. En attendant, celles de nous qui restent brodent des paillettes sur nos linceuls.
— Les Vilaines de Camila Sosa Villada (Page 185 - 186)
Un livre qui discute la notion de "perspectives terrestres", qui s'avère loin d'être une pure construction théorique. Au contraire, Pignocchi argumente de façon convaincante que, face à l'impasse de la voie insurrectionnelle comme de la voie électorale, il faut trouver cette voie des " perspectives terrestres ", qui s'incarne en partie dans le déjà-là de luttes territoriales type Notre-Dame des Landes. Au total, un livre très stimulant et profondément optimiste.
Un texte qui médite sur le pouvoir émancipateur de la littérature, qui est aussi un pouvoir de consolation et de …
Huit textes, chacun précédé d’une courte présentation rédigée par l’auteur·rice·x du texte précédent – une idée très chouette. Les récits abordent le lesbianisme, notamment la difficulté, dans la jeunesse, de trouver des références vers lesquelles se tourner ; mais aussi l’intersectionnalité, à travers des réflexions sur le racisme, le classisme et le validisme. On découvre une diversité de vécus et de ressentis qui convergent tout de même sur des problématiques similaires.
Qu'est-ce qu'être gouine ? Bien plus qu'une orientation sexuelle, l'homosexualité féminine se conjugue au pluriel : ce sont des identités, …
Le marchandage auquel se livraient certains clients compliquait les choses. Ils étaient capables de payer des fortunes, sans broncher, pour la voiture qu'ils conduisaient, pour les vêtements qu'ils portaient, ou pour les téléphones portables qu'ils arboraient, mais ils mettaient des plombes à marchander avec une trans le prix de son corps.
— Les Vilaines de Camila Sosa Villada (Page 126)
À la première personne, nous avons les confessions remplies de haine d'un vieil avare paranoïaque qui ourdit un plan pour priver sa descendance de ses richesses. Sa voix, exprimée dans plusieurs longues "confessions" espacées dans le temps car écrites à des moments où il se pense aux portes de la mort, est particulièrement acerbe et donc souvent très drôle. On en viendrait presque à comprendre ses raisons, à se laisser attendrir, juste au moment où son revirement, l'illumination par la foi chez l'athée férocement anti-clérical, l'amène à revoir ses décisions, à perdre la haine qui faisait sa force, et se faire engloutir par ce "nœud de vipères" dont on commençait à se demander s'il n'était pas le pur produit de sa méfiance maladive, une rage qui aurait déteint, une conséquence plutôt qu'une cause. Un doute nourri (mais pas confirmé) par le basculement de point de vue final. L'histoire de la …
À la première personne, nous avons les confessions remplies de haine d'un vieil avare paranoïaque qui ourdit un plan pour priver sa descendance de ses richesses. Sa voix, exprimée dans plusieurs longues "confessions" espacées dans le temps car écrites à des moments où il se pense aux portes de la mort, est particulièrement acerbe et donc souvent très drôle. On en viendrait presque à comprendre ses raisons, à se laisser attendrir, juste au moment où son revirement, l'illumination par la foi chez l'athée férocement anti-clérical, l'amène à revoir ses décisions, à perdre la haine qui faisait sa force, et se faire engloutir par ce "nœud de vipères" dont on commençait à se demander s'il n'était pas le pur produit de sa méfiance maladive, une rage qui aurait déteint, une conséquence plutôt qu'une cause. Un doute nourri (mais pas confirmé) par le basculement de point de vue final. L'histoire de la haine n'est pas linéaire, elle est toute en circonvolutions et indémêlable, les innocents sont les prochains coupables et il ne faut pas attendre de fable moralisatrice de ce roman passionnant où tous — à l'exception d'une enfant — sont des vipères.
Une bonne ambiance science-fiction low-fi et rétro, magnifiée et brouillée par le dessin de Breccia et son travail sur les textures. Un dessin frappant même si pas toujours lisible, donc, mais la fin du monde mérite-t-elle une ligne claire quand tout se délite et que les personnages sont plongés dans l'horreur de l'inconnu ? D'autant plus que la forme feuilletonnesque (les planches ont été originellement publiées dans un journal) invite à condenser le récit, synthétiser et accélérer les évènements. Donc pour créer l'atmosphère, l'univers, l'ambiance, tout repose sur le dessin, sur chaque case, même, puisqu'il est difficile de sur-découper ou de rester contemplatif dans ce genre de format. Évidemment on pourrait souhaiter avoir un récit plus fourni, des personnages plus développés, mais il faut réussir à découper mentalement la lecture selon les trois pages hebdomadaires pour en saisir l'essence, aux accents souvent politiques (on parle notamment d'une Amérique du Sud …
Une bonne ambiance science-fiction low-fi et rétro, magnifiée et brouillée par le dessin de Breccia et son travail sur les textures. Un dessin frappant même si pas toujours lisible, donc, mais la fin du monde mérite-t-elle une ligne claire quand tout se délite et que les personnages sont plongés dans l'horreur de l'inconnu ? D'autant plus que la forme feuilletonnesque (les planches ont été originellement publiées dans un journal) invite à condenser le récit, synthétiser et accélérer les évènements. Donc pour créer l'atmosphère, l'univers, l'ambiance, tout repose sur le dessin, sur chaque case, même, puisqu'il est difficile de sur-découper ou de rester contemplatif dans ce genre de format. Évidemment on pourrait souhaiter avoir un récit plus fourni, des personnages plus développés, mais il faut réussir à découper mentalement la lecture selon les trois pages hebdomadaires pour en saisir l'essence, aux accents souvent politiques (on parle notamment d'une Amérique du Sud lâchement abandonnée par le Nord à des envahisseurs extraterrestres en guise de pacte de paix). La forme feuilletonnesque laisse au lecteur le temps de développer lui-même les thèmes évoqués entre la lecture de deux épisodes (par exemple de l'importance de la trace historique quand l'humanité court probablement à sa perte, voire à une extinction totale).
Je n'ai pas lu la première version dessinée par Solano Lopez, donc je n'ai pas de point de comparaison quand au style ou au développement de l'histoire.
Votre révolte, vos choix, vos parents les avaient rendus caduques, anéantis, avant même qu'ils ne vous viennent à l'esprit, par quelques judicieux placements financiers. Vous étiez toujours déjà à l'abri. En explorant des trajectoires qui ne comprennent pas un rapport strict au travail, en allant vers des professions plus précaires mais à forte reconnaissance sociale, vous avez cru prendre des risques, mais vous n'avez jamais mis en danger votre confort sur le moyen et le long terme. (« À mes camarades radicales, à toutes les autres », d'Amandine Agić)
— Gouines de Marie Kirschen, Maëlle Le Corre (Page 163)
On ne parle jamais de la violence des femmes. Dans un monde patriarcal, les femmes sont « fragiles ». Fragiles veut dire faibles, faibles veut dire sans force, et sans force veut dire sans violence. C'est faux, bien sûr, c'est beaucoup d'images donc de projections. Une image est fixe, et toi, tu as toujours été en mouvement, tu n'as jamais été à ta place dans les cages dans lesquelles on voulait t'enfermer. Même dans les marges, il y a des nomes, des hiérarchies et des échelles. Tu étais en bas. Et, durant ton apprentissage de gouine, les lesbiennes t'ont fait comprendre que tu étais d'abord noire. (« Nos solitudes ensemble », de Erika Nomeni)
— Gouines de Marie Kirschen, Maëlle Le Corre (Page 144)
Je ne savais rien de ce roman – je n'avais pas vu la série – si ce n'est que c'était une dystopie. Et j'ai été impressionné par la qualité et la profondeur de l'écriture. Ça confirme ma conviction qu'il vaut toujours mieux lire un livre avant d'en voir une adaptation.
Poursuite de mes découvertes dans cette collection de novellas, ReciFs, que publie Argyll depuis l'automne - avec toujours de magnifiques illustrations de couverture proposées par Anouck Faure.
Nous plongeant au sein d'une communauté de femmes, dans laquelle les logiques financières sur lesquelles repose l'entreprise, dont toutes oeuvrent à promouvoir les produits, côtoient des dérives que d'aucun·es qualifieraient de sectaires, Re:Start offre un récit prenant et nerveux, oscillant entre thriller et incursions dans du body horror. La construction du chapitre d'ouverture délivre d'ailleurs une première claque et s'assure de l'attention des lecteurices : je n'ai plus pu décrocher une fois lancée. En exploitant de façon parfois brutale les diverses facettes de son univers, l'autrice propose une novella résolument à thèse : c'est une dénonciation d'un certain rapport au corps féminin façonné et imposé par la société et de ce que cela produit sur des femmes se brisant en tentant d'atteindre des …
Poursuite de mes découvertes dans cette collection de novellas, ReciFs, que publie Argyll depuis l'automne - avec toujours de magnifiques illustrations de couverture proposées par Anouck Faure.
Nous plongeant au sein d'une communauté de femmes, dans laquelle les logiques financières sur lesquelles repose l'entreprise, dont toutes oeuvrent à promouvoir les produits, côtoient des dérives que d'aucun·es qualifieraient de sectaires, Re:Start offre un récit prenant et nerveux, oscillant entre thriller et incursions dans du body horror. La construction du chapitre d'ouverture délivre d'ailleurs une première claque et s'assure de l'attention des lecteurices : je n'ai plus pu décrocher une fois lancée. En exploitant de façon parfois brutale les diverses facettes de son univers, l'autrice propose une novella résolument à thèse : c'est une dénonciation d'un certain rapport au corps féminin façonné et imposé par la société et de ce que cela produit sur des femmes se brisant en tentant d'atteindre des standards inatteignables. L'autrice met en exergue à la fois à quoi cela peut conduire dans les rapports à soi et à son corps, mais aussi entre femmes avec la mise en scène d'une sororité dévoyée et mortifère. Elle dénonce également la façon dont des intérêts économiques - et plus largement le système capitaliste - ont pu récupérer et exploiter à leur profit ces représentations, travaillant d'autant plus à renforcer l'aliénation des femmes. Là où le récit fonctionne de façon particulièrement convaincante, c'est notamment en prenant le temps d'éclairer les souffrances que cela suscite chez différents personnages. La protagoniste principale, décidée à faire tomber Re:Start, n'est en effet pas sans faille : elle n'est pas immunisée face à la manière dont l'entreprise exploite les attentes, les représentations et les peurs des femmes. La mise en scène de cette ambivalence, jusqu'à la fin, m'a semblé très pertinente. La novella propose aussi des extraits d'un journal intime, donnant l'occasion de mettre en lumière les dynamiques de doutes, d'espoir et de déception qui s'installent de façon pernicieuse.
En résumé, Katia Lanero Zamora délivre une novella aussi directe que brutale, venant dénoncer l'ampleur d'un système implacable, source de souffrance généralisée, qui broie les femmes.
« Pourquoi est-ce qu'on danse ? — Parce que nous avons un toit. — Et c'est une bonne chose ? — Une chose magnifique. — Alors on devrait danser encore ! »
Je finis ce livre, moitié charmé, moitié en colère contre le commentaire du Figaro littéraire (« Une aventure terrible et merveilleuse. ») tant tout ce que décrit ce livre incarne les contradictions du monde moderne, des gens laissés à la rue, sans moyens, pour les autres, le manque de temps, d'exercice libre, le manque de soin aussi d'une médecine parfois absente, la mise à distance de l'environnement naturel, sa destruction et, « en même temps », sa magnification mercantile...
Peut-être, pourtant, la seule chose qu'on ait à faire, la seule chose qu'on puisse même faire, c'est de marcher, un pas après l'autre, et encore un autre, jusqu'à ce que peu à peu veuille bien tomber tout ce qui …
« Pourquoi est-ce qu'on danse ? — Parce que nous avons un toit. — Et c'est une bonne chose ? — Une chose magnifique. — Alors on devrait danser encore ! »
Je finis ce livre, moitié charmé, moitié en colère contre le commentaire du Figaro littéraire (« Une aventure terrible et merveilleuse. ») tant tout ce que décrit ce livre incarne les contradictions du monde moderne, des gens laissés à la rue, sans moyens, pour les autres, le manque de temps, d'exercice libre, le manque de soin aussi d'une médecine parfois absente, la mise à distance de l'environnement naturel, sa destruction et, « en même temps », sa magnification mercantile...
Peut-être, pourtant, la seule chose qu'on ait à faire, la seule chose qu'on puisse même faire, c'est de marcher, un pas après l'autre, et encore un autre, jusqu'à ce que peu à peu veuille bien tomber tout ce qui nous entrave.